Beautiful Leopard ? En 2005, avec “How Long Will It Take”, on avait fait connaissance avec ces jeunes gens que l’on devinait tourmentés, habités par diverses rêveries post-rock estampillées Mogwai ou Souvaris. L’album, distribué aux quatre coins du globe (Allemagne, Etats-Unis, Canada), avait emmené ces cinq ressortissants fribourgeois sur les routes sinueuses de la vie en rock. Destination inconnue.
Or, il semble désormais acquis que l’année 2008, outre quelques joutes sportives de diverses ampleurs, sera placée sous le signe du Léopard. Car ces messieurs sont de retour avec un nouvel album: soit 12 pistes, 49 minutes, deux guitares, un clavier, une basse et une batterie.
Mais ce n’est pas tout : lassé des verbeuses digressions instrumentales, Beautiful Leopard y écrit des chansons. Des couplets, des refrains. N’en déplaise aux amateurs de vagissements et autres geignements thomyorquesques, sont esquissées ici de véritables mélodies, tortueuses et amères (A First Sight, Hide). De celles qui, à l’image du vénérable félin, ne se laissent facilement apprivoiser. Et c’est tant mieux comme ça. Comme le dit si bien le refrain de la chanson-titre de l’album : « It’s better when it hurts ».
Ci-et-là, le réflexe post-rock reprend le dessus (Gibraltar). Avec un sens de la dramaturgie éprouvé, Beautiful Leopard confère alors à ses morceaux une dimension épique. Le paysage se fend de zébrures arpégées ; l’auditeur est baladé en des contrées hostiles, ballotté entre tumulte guitaristique et nappes de claviers ombrageuses. La basse vrombit, la batterie glapit et les deux guitares rejouent les Duellistes de Ridley Scott : ces deux hussards napoléoniens prenant prétexte de la moindre bataille pour mieux se défier en un contre un. Armes réglementaires : arpèges étriqués contre powerchords vindicatifs. Arbitre de cette impitoyable confrontation : un clavier tour à tour piano obsessif et orgue crépusculaire. Il se glisse, se faufile dans le moindre interstice. Ecoutez-le survoler le champ de bataille de « A First Sight », qui ouvre l’album de fort belle manière : c’est le maître d’arme de ce Léopard merveilleux.
« You can’t beat two guitars, bass, drum ». On connaissait l’évangile selon Lou Reed. « Some horns won’t harm anything » ajoutent désormais les félins. Sacha Ruffieux, producteur avisé, a eu la mission d’instiller un aiguillon cuivré dans l’œil du cyclone léopardien : au plus fort de la tempête résonne ainsi l’écho lointain des cuivres qui confère à ce disque une personnalité singulière.
« Richters », ses accords majeurs, ses samples nostalgiques, conclut l’album dans un climat enfin apaisé. Elle résonne comme une boîte à musique déglinguée que l’on ressort du grenier avec émotion. Comme c’est souvent le cas durant les 49 minutes que compte l’album, sa beauté est confondante.
Qu’il soit enfin dit en passant : le disque s’appelle « Sometimes It doesn’t Work » et il est disponible dès le 14 mars 2008 chez Saïko Records. Sa chanson-titre est à l’image de cet album précieux : merveilleusement insaisissable.