Je suis enfermé dans
mon lointain intérieur,
et la clé je
l’ai perdue.

J’ai tapissé les murs
de portraits
souvenirs ;
les sourires sont figés.

En quête d’un
ailleurs
je reviens m’oublier ici ;
je m’égare
immobile.

Dans ces yeux de papier
parfois ton regard
m’interpelle
et l’histoire se rappelle.

Tu dis mer et
je divague,
je dérive loin de l’hiver.

« J’étais en
plein océan.
Nous voguions.
Tout à coup le vent
tomba.
Alors l’océan démasqua
sa grandeur, son
interminable
solitude.
Le vent tomba d’un coup,
ma vie
fit « toc ».
Elle était arrêtée à tout jamais.
Ce fut une
après - midi de délire,
ce fut une après - midi
singulière,
l’après-midi de « la fiancée se retire ».
Ce
fut un moment,
un éternel moment,
comme la voix de
l’homme
et sa santé étouffe sans effort
les
gémissements
des microbes affamés,
ce fut un moment,
et
tous les autres moments
s’y enfournèrent,
s’y
envaginèrent, l’un après l’autre,
au fur et à mesure
qu’ils arrivaient,
sans fin, sans fin,
et je fus roulé
dedans,
de plus en plus enfoui,
sans fin, sans fin.
»

Henri Michaux, « ma vie s’arrêta »,
dans « Lointain
intérieur » (1938).